Un mois en cale sèche – partie 2

Comment s’est déroulé ce fameux mois hors de l’eau? Et bien, sans surprise, vous savez déjà que nous sommes toujours dans le chantier. Alors, que s’est-il donc passé? Que se passe-t-il dans ce trou noir mystique qui aspire le temps et que les gens appellent “chantier naval” ? Comment un plan de 3 semaines peut-il se transformer en une odyssée de 5 mois ? Je n’en suis pas tout à fait sûr. Voici ce qui s’est passé :

Jour 1 : Sortie de l’eau et nettoyage de la coque.

Jour 2 :

  • On se prépare pour retirer le mât. On retire la plus grande partie du plafond pour accéder et déconnecter tous les fils électriques des lumières et du radar. Enlever la bôme, retirer toutes les goupilles et desserrer les ridoirs pour s’assurer que le mât est prêt à être ôté sans arracher quelque chose. Il faut descendre notre annexe à terre pour avoir de l’espace, identifier tous les câbles, marquer la distance à laquelle nos ridoirs sont serrés pour pouvoir re-tensionner le gréement comme il l’est actuellement.
  • Enlever l’hélice, déconnecter le shaft de la transmission du moteur
  • Démontage du PSS (un super gizmo qui évite que la lubrification du shaft faite à l’eau de mer ne crée des gouttes d’eau dans le compartiment moteur de Pablo) et retirer pour de bon le shaft.
  • Réussi à retirer un premier “cutlass bearing” (un des cutlass bearing m’a pris 8 heures à enlever à lui seul au Panama, alors un gros win!)

    Récapitulatif quotidien; le bearing doit être changé A NOUVEAU (Panama, c’est toujours bien en février dernier, et normalement ça devrait avoir une durée de vie de 3-4 ans…) Savoir que nous devons le changer seulement 6 mois après confirme notre pire crainte ; nous devons changer notre shaft qui est croche…

    * Un shaft croche ne se voit pas à l’oeil nu pour les Sherlock de ce monde qui ne nous trouvent pas bien bien smart d’avoir réinstallé au Panama le dit shaft :D)


Jour 3:

  • La grue est arrivée et nous avons dématé (ça prend 8 personnes sur le pont en même temps, merci les amis!)
  • Déplacement du bateau et du mât vers son nouvel emplacement dans le chantier
  • Inspection de tout le gréement dormant
  • Oté l’enrouleur du mat pour notre voile (elle s’enroule à l ‘intérieur du mat) pour vérifier l’état du moteur demain.

    Récapitulatif quotidien: après avoir reçu l’aide de Jamie du voilier Totem, qui a une connaissance approfondie du gréement, le verdict est tombé. Nous devons changer notre gréement. Au complet. La mauvaise surprise d’hier pour le shaft ne semble plus si mauvaise que ça à présent.


Jour 4:

  • Démontage du côté tribord du mât de tout le matériel (winchs, barres de flèche, marches, taquets, etc.) qui devait également être inspecté. Sachez que dans une maison, un boulon ça s’enlève vite. Dans un bateau où le métal est en contact avec le sel de mer, c’est une aventure à chaque à savoir si le boulon va casser sur place ou pas. Victoire! Tout est sorti plutôt bien. Ouf! (juste 3 tournevis de cassé!)
  • Démontage des deux enrouleurs
  • Prise de mesure de chacun des câbles, les grosseurs etc, afin de pouvoir commander un autre gréement. Je peux vous assurer qu’on mesure plus qu’une fois pour ne pas se tromper. Parce que en temps normal, c’est déjà pas facile de louer une voiture et aller rencontrer les compagnies en Californie aux USA, en temps de pandémie, ça se fait par une commande internet et les doigts croisés…
  • Envoyer 18 demandes de soumissions pour le nouveau gréement
  • Envoyez 13 demandes de soumissions pour un nouveau shaft
  • Inspection de l’accastillage du mât côté tribord démonté la veille

    Récapitulatif quotidien : Il semble qu’une partie de l’ascastillage doive également être changée. Principalement les pièces de métal fixées au mat servant à supporter les câbles du mat (on va les appeler “les bases des barres de flèches”). Bien sûr, ce sont les pièces les plus difficiles à trouver (compagnie n’existe plus), et disons-le, plutôt critique aussi.


Jour 5 :

  • On enlève les cadènes de proue et de poupe (ie, morceau de métal intégré à la structure du voilier pour supporter les câbles du gréement depuis le pont du bateau), les seules que nous n’avons pas encore changées
  • Démonté tout l’accastillage du côté bâbord du mât.
  • J’ai passé la majeure partie de la journée à essayer de trouver un endroit pour se faire fabriquer des nouvelles bases pour nos barres de flèche.

    Récapitulatif quotidien : Bien sûr, les deux cadènes doivent être changées! Je commence à oublier ce qu’est l’optimisme…
Transformer notre escalier pour monter à bord en maison pour les enfants. C’est fou à quel point il s’adaptent plus facilement que nous à tout!


Jour 6 :

  • Sablage du mât car la peinture écaille et vole au vent comme une tempête de neige au jour de l’an. Mieux vaut inspecter si on aurait pas des dégât causé par la corrosion galvanique…
  • Enlever les boulons de fixation du mât
  • Démontage de l’enrouleur (encore – parce que l’autre fois j’ai pas pu terminer, y’avait des pièces de coincées.)
  • Percé quelques trous dans le safran pour voir s’il y a de l’eau dedans.
  • Discussion avec le chantier ici pour voir leur compétence à nous machiner nos fameuse (ou plutôt Un-famous) bases pour les barre de flèche

    Bilan quotidien : bien sûr, il y avait de l’eau dans le gouvernail. Les Grand-Lacs sont là!


Jour 7:

  • Il est clair que nous avons besoin de plus de choses que ce que nous avions prévu. Nous avons passé la matinée à commander des pièces de rechanges et à essayer de trouver (encore) les bases des barres de flèche.
  • Enlèvement du “ground” de notre vieux radio SSB ( Le ground en question est une plaque sous la coque. pour bien des raison, on ne gardera pas le radio SSB et c’est 2 trous de moins dans la coque…)
  • Enlever un senseur qui ne marche plus pour nous indiquer la vitesse de Pablo. Il passe au travers de la coque et sablage de tout ça dans le but de pouvoir refaire de la fibre de verre et boucher ce trou non-nécessaire pour de bon. Le moins de trous dans la coque le mieux!
  • Tentative à enlever le second cutlass bearing qui supportait le shaft (celui qui a pris 8 heures au Panama) 12 heures plus tard, il est toujours là… Je commence à me dire que le 8 heures que ça m’a pris au Panama, c’était un méchant record!

    Bilan quotidien : Les bases des barres de flèche nous rendent fous: j’ai reçu une soumission d’un atelier de machinistes qui pourrait les faire. Délai de 6 semaines, 900$ CHAQUE. Il nous en faut 8 !!! C’est 7200$, + taxes + livraison ça! USD!!! Pendant ce temps, Cass est en discussion avec un gars en Espagne qui prétend pouvoir nous imprimer en 3D les pièce en acier inoxydable. Nous buvons une bière ce soir-là en nous émerveillant de la tech qui permet maintenant d’imprimer en 3D de l’inox (faites-moi confiance, vous voulez pas savoir le prix!)


Jour 8 :

  • J’ai enfin réussi à enlever le bearing : je me suis tanné, je l’ai coupé… comme au Panama.
  • Le chantier naval ici nous est revenu avec un prototype en acier pour les cadènes de mat qu’on doit changer.
  • Continuer le sablage du mât

    Récapitulatif du jour : Le chantier naval n’est pas en mesure de fabriquer les cadènes comme nous l’espérions. Nous devrons trouver un atelier d’usinage quelque part d’autre pour les fabriquer. Encore des appels téléphoniques (c’est quand la dernière fois que vous avez fait du magasinage par téléphone vous?) Les cadènes sont ajoutés à notre liste de “choses que personne ne semble pouvoir faire pour moins que le prix de mes deux reins”.


Jour 9

  • Commencer à sabler la coque (il faut sabler avant de pouvoir remettre de la peinture)

    Récapitulatif de la journée : après 9 heures passées à sabler la coque en position inconfortable, nous avons découvert quelques choses. Premièrement, je n’ai plus 20 ans et je ne suis pas sûr que le Mexique ait assez d’Advil pour mes besoins. Deuxièmement, il y a moins de peinture à enlever que ce à quoi je m’attendais, MAIS il n’y a presque pas de couche de protection sous la peinture. Et ça, c’est mauvais signe ! S’il n’y a pas de couche de protection, cela signifie qu’il y a un risque d’osmose dans la coque qui apparaitront sous forme de cloques d’eau. Nous devons creuser davantage, ôter toute la peinture et remettre des couches de protection, avant la peinture. (Oui, c’est plus compliqué que peinturer ses murs)


Jour 10

  • Sablage de la coque
  • Mangez des Advils comme des bonbons

    Récapitulatif quotidien : les soumissions pour le nouveau gréement commencent à arriver. Pour le shaft aussi. Au total, c’est la moitié de notre budget annuel! C’est dommage, car payer pour faire sabler la coque semble être une bonne idée. De plus, de nombreuses cloques ont commencé à apparaître. Donc osmose.. Ce qui signifie que je dois sabler beaucoup plus que ce que nous avions prévu.


Jour 11

  • Sablage de la coque
  • Mes bras sont un mélange de jell-o et de jalapeños. Je développe une méthode pour tenir la ponceuse à l’envers entre mes épaules et ma face. Je suis vraiment fier de moi. Les Mexicains qui regardent le papier sablé 60x qui tourne à 2000 tours minutes à 5cm de ma face semblent moins convaincu…

    Récapitulatif quotidien : Grosse étape de franchie aujourd’hui. J’ai sablé la moitié du bateau! D’un côté… Pourquoi on a acheté un bateau à 2 côtés donc ? En fait, j’ai fait un quart du travail, ce qui veut dire que j’ai encore 7 jours de sablage devant moi. Et j’ai déjà brûlé 122 papiers sablés.
L’étoile de la semaine; ma sableuse orbitale 6″


Day 12

  • Sablage de la coque

    Récapitulatif quotidien : Après quelques bières, nous nous rendons à l’évidence que mieux vaut abdiquer et faire sandblaster Pablo. Il y a trop de traces d’osmose pour réussir à tout sabler. C’est une décision difficile à prendre avec déjà tant de mauvaises surprises et coûts imprévus. Mais c’est la bonne décision. Je me sens instantanément soulagé de ne plus avoir besoin de sabler. Et je me sens tellement stupide de ne pas avoir pris cette décision il y a 4 jours. Je suis vraiment le gringo le plus cave du Mexique !
Pablo part pour le sandblast. C’est quand on prend un peu de distance qu’on réalise à quel point 40 heures de sablage est insignifiant…


Jour 13

  • Sablage… du mât
  • Préparer le bateau pour faire sandblaster la coque. (il faut boucher tous les trous où le sable pourrait entrer, protéger les fenêtres, encloisonner le cockpit et protéger tout l’électronique, le hors-bord… – nos voisins de chantier ont terminé leur sandblastage avec 2 pouces de sable partout sur le pont)

    Bilan quotidien: j’en ai ma claque du sablage.


Jour 15 à 19

  • Pendant que le bateau reçoit sa cure d’exfoliant, nous passons nos journées à choisir minutieusement toutes les nouvelles pièces dont nous avons besoin (imaginez-vous sélectionner vos vis, boulons, pinceaux, papiers sablés, etc… tout ça sur internet. Une perte de temps inimaginable. Je commence à voir double et j’ai 5 fichiers excel d’ouvert pour essayer de ne rien oublier et pas payer trop cher en tenant en compte des prix de livraisons, délais, etc…)
  • Je fais des crises d’angoisse aux demi-heures en regardant notre fichier de suivi budgétaire


Jour 20 à 40

  • Je travaille comme un fou sur Pablo dans l’espoir de remettre à l’eau comme promis au reste de l’équipage


Jour 41

  • Pourquoi on fait ça donc? On est sensé retourner à l’eau quand déjà? Qu’est-il arrivé à ce plan de trois semaines ?


Jour 42 à … on est quel jour?

  • Trou noir



… à suivre …

Peu importe la journée, ce sourire est toujours aussi contagieux!

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2 comments

  • alphatonic May 1, 2024   Reply →

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